Palestine: quand la démocratie tue

نهاد حداد في الأحد ٢٧ - يوليو - ٢٠١٤ ١٢:٠٠ صباحاً

 

Dans un monde qui célèbre les avancées démocratiques, force est de constater que celles-ci ne bénéficient en rien au peuple palestinien. Quand les premières élections libres (et unanimement reconnues comme transparentes et fiables) ont eu lieu dans les territoires occupés en 2006, la victoire démocratique de Hamas a subséquemment plongé les Palestiniens dans une tourmente sans fin. Le peuple avait choisi les mauvais vainqueurs et il a été régulièrement, et lourdement, puni depuis. Élire des « terroristes » au pouvoir, c’était donner le droit à Israël de traiter l’ensemble de la population comme s’il s’agissait de terroristes : emprisonnements, exécutions sommaires, tortures, frappes aériennes régulières ; sans compter le lot quotidien d’humiliations aux check-points, face aux militaires ou avec l’horreur de ce mur de l’apartheid et de la honte. Beau succès de la démocratie : être invités à voter librement et finir emprisonnés à l’air libre. Ce n’est point fini. Le soi-disant processus de paix n’a jamais tenu ses promesses et pendant que le gouvernement israélien et les colons continuent leur lente colonisation – en rendant caduque toute idée de deux États – le dialogue s’enlise et se meure.... C’est par ailleurs l’imminence des élections « démocratiques » israéliennes qui explique l’épreuve de force de ces derniers jours. Des bombardements, des exécutions sommaires et la mort de dizaines – et bientôt de centaines – de civils. Tuer des Palestiniens, déployer sa force de frappe militaire en alimentant le danger, est une garantie de succès électoral pour le premier ministre Benjamin Netanyahu. Belles conséquences des votes démocratiques aux États-Unis et en Israël : laisser tuer ou tuer pour gagner. Cela fait froid dans le dos. Espérons, en sus, que les régimes démocratiquement élus après le réveil arabe ne s’en tiennent pas aux symboles. Il faut saluer l’envoi des ministres des Affaires étrangères égyptien et tunisien, comme l’on a également salué la prise de position ferme du premier ministre turc Erdogan en 2008 : ce sont autant de signes forts que les choses changent et que les gouvernements prennent des positions plus en accord avec leurs peuples. Reste que ces démarches nationales sont isolées et ne participent pas d’une stratégie régionale concertée qui puisse avoir un impact sur l’évolution de la situation. Il pourrait n’en résulter qu’un gain émotionnel, avec des populations arabes exprimant leur colère dans les rues, et leur soutien à l’initiative des dirigeants tunisiens, égyptiens ou turcs, mais sans aucune conséquence concrète puisque Israël continue ses attaques et va au bout de ses objectifs. Encore une fois, les Palestiniens pourraient devenir les victimes d’un usage national populiste de leur cause : les nouveaux élus condamnent, les populations manifestent et les Palestiniens meurent toujours. Cette cause nécessite des États arabes autre chose qu’un soutien verbal : il est impératif de penser une coalition, une stratégie impliquant concrètement des États (du Moyen-Orient à l’Amérique du Sud, de l’Afrique du Sud à l’Asie), un vrai front de défense de la justice, des droits et de la dignité des Palestiniens. Une défense déterminée des opprimés contre leurs oppresseurs. Les médias occidentaux dans leur grande majorité affirment qu’Israël ne fait que réagir au lancement d’une roquette par les Palestiniens. On serait donc dans la légitime défense. Quel mensonge ! Le scénario de 2008 recommence et les médias reprennent la propagande mensongère du gouvernement israélien. Pendant des mois et des semaines, des avions et des drones n’ont cessé de survoler Gaza, de terroriser la population, et parfois de viser des cibles singulières. En octobre, par quatre fois, des raids israéliens ont frappé Gaza : les dirigeants palestiniens n’ont pas répondu à la provocation et ce jusqu’à la mort d’un enfant lors d'une incursion sur le territoire palestinien. Une roquette a été lancée, puis une trêve a été acceptée par les deux parties et ce la veille de l’élimination sommaire du membre de Hamas Ahmad Jabari ! Israël attaque, tue, provoque en silence et se présente médiatiquement comme la victime qui se défend. Le scénario est effectivement le même que celui de 2008 qui avait coûté la vie à près de 1500 Palestiniens. Les Palestiniens seraient les agresseurs choisissant étrangement ce moment très opportun pour attaquer : le moment précis où Netanyahu a besoin de cette guerre pour gagner les élections. Sombres et cyniques calculs. Le monde arabe est déstabilisé et fragilisé. La guerre civile en Syrie (où la communauté internationale semble s’être mise d’accord pour ne pas être d’accord et laisser pourrir la situation), les tensions au Liban, le complexe positionnement iranien, l’instabilité en Tunisie, en Égypte, au Yémen, en Jordanie sont autant de facteurs qui empêchent – plus encore peut-être que les dictatures du passé – toute action concertée. Israël en tire profit et continue à réaliser son projet en cherchant à imposer sa politique du fait accompli : isoler Gaza, mépriser les attentes de Mahmoud Abbas, punir les résistants et coloniser encore et encore jusqu’à rendre impossible toute solution de paix. Le gouvernement israélien ne veut pas la paix. Il gagne du temps et certains membres des différents cabinets israéliens osent même le dire sans honte. Et c’est pourtant une honte. Dans l’esprit des Occidentaux, nourris par les valeurs des Lumières qui disaient l’égalité fondamentale de tous les êtres humains, on a réussi à normaliser l’idée que la vie et le sang des Arabes – et parfois plus largement des musulmans de l’époque contemporaine – a moins de valeur que le sang israélien, que le sang des femmes, des enfants et des hommes des puissances dominantes. Ce racisme institué – par la loi ou par le sentiment informellement partagé – est au fondement des missions colonisatrices comme des régimes d’apartheid. Il a nourri le projet sioniste à son origine et voilà qu’il se répand et influe sur les politiques gouvernementales du Nord, les médias et les sentiments populaires : les humains sont catégorisés et "les nôtres" – ou ceux qui nous « ressemblent »- ont plus de valeurs que "les autres ". Périlleux retour : notre époque est dangereuse. Peut-être est-ce au Grand Sud de refuser cette logique de malheur ; peut-être est-ce à tous les êtres de conscience de se lever et de dire qu’un Palestinien innocent qui meurt rend notre silence coupable. Peut-être est-il temps d’aller plus loin que les belles paroles : de boycotts en désinvestissements, de sanctions en alliances globales, se mobiliser, agir, résister et faire entendre au pouvoir israélien que son arrogance et surdité d’aujourd’hui sont à la mesure de ce que sera sa défaite demain .( D'après Tarik RAmadan).
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